L'Oracle de Netchung

Publié le par lobsang sonam

Impossible de deviner, lorsque l'on découvre le visage serein et souriant du Vénérable Thubten Ngodup, que celui-ci endosse le rôle d'oracle d'Etat du Tibet, et que par son corps, l’esprit protecteur de ce pays communique de façon extraordinaire. Pourtant, le dalaï-lama ne prend aucune décision importante sans le consulter. Le medium de l'esprit du Tibet, le Nechung Chonkyang, aussi appelé Dordje Drakden, est une déité, une entité tutélaire du bouddhisme tibétain. Cet esprit communique grâce au corps physique d'un moine, appelé kuten, dont il prend possession au cours de transes. Si une des fonctions de l'oracle est de faire des prédictions au dalaï-lama, il est avant tout l'un des protecteurs du Dharma et de ceux qui le pratiquent. Depuis cinq siècles, treize mediums se sont succédés au service du Nechung et du gouvernement tibétain.

Le Vénérable Thubten Ngodup a aujourd'hui un peu plus de 50 ans, mais semble en avoir 15 de moins. Il appartient à une famille issue d'une lignée ininterrompue de pratiquants tantriques - ses parents étaient des disciples de l'ecole Sakya du bouddhisme tibétain. Apres une enfance difficile sous l'occupation chinoise et sa fuite du Tibet vers l'Inde, celui qui va devenir l'oracle du dalaï-lama fait très vite part à son entourage de son désir de devenir moine. Arrivé à Dharamsala en 1969, il rejoint deux ans plus tard le monastère de Nechung.

Rapidement, les premiers signes se manifestent : « Tout a commencé par un important saignement de nez accompagné de visions, on dit qu’il s'agit du nettoyage du système nerveux » explique le Vénérable. Quelques années plus tard, il est atteint d'une certaine langueur, qu'il décrit comme une sorte de maladie qui dure plusieurs jours. « J’étais vidé de ma substance, de mon énergie » se souvient-il. Le 31 mars 1987, lors d'une cérémonie de prières organisées pour retrouver le nouveau corps physique de Nechung, Thubten Ngodup entre spontanément en transe : « J’ai senti pour la première fois la divinité descendre en moi et s'exprimer par le biais de mon être. J’ai été saisi ensuite dune agitation fébrile, j'ai eu un flash puis j'ai perdu connaissance. » Près de deux mois plus tard, le gouvernement tibétain en exil le reconnait officiellement comme le nouveau medium de l'oracle de Nechung, après que le dalaï-lama s'est prononcé personnellement sur l'authenticité de sa transe.

Une nouvelle que le Vénérable accueille alors avec une grande sérénité. « Je me suis dit que par rapport à l'enseignement du Bouddha, si je pouvais être d’une quelconque utilité ou bénéfice pour les êtres, et bien oui, j'avais le désir de devenir l'oracle de Nechung. » Bien qu'il affirme aujourd'hui ne jamais regretter d'occuper cette fonction, il confesse pourtant que cette responsabilité n'est pas toujours facile a gérer: « Je suis en général plutôt serein, mais je dois avouer qu'avant chaque nouvelle prédiction, je suis submergé par une vague d’inquiétude, je ne dors pas très bien. »

Cet univers est généralement interdit aux profanes, seuls le dalaï-lama et les membres du gouvernement en exil peuvent assister aux rituels de la mise en transe et la consultation de l'oracle. Ceux-ci sont préparés avec une grande minutie. L'encens, la musique et les prières sont autant de marques de bienvenue à la déité. Dès qu'il est habité, l’aspect du rnoine change, sa force et son énergie se décuplent. Par la voix du medium, la divinité transmet des messages ou répond a des questions d'actualité, dans un langage qui lui est propre. Ceux-ci sont soigneusement notés par un moine formé a cet effet. Les avis ainsi recueillis sont étudiés par des moines qualifiés, pour êtres clairement interprétés. Si certains sont rendus publics, d'autres estimés confidentiels ne seront remis qu'au dalaï-lama et au gouvernement tibétain.

« Dès le début du rituel, j'ai la sensation de quitter les lieux, d’ être dans un état d'apesanteur, comme dans un trou d'air lorsque l’on voyage en avion, explique-t-il, tout semble s’éloigner, comme si je sombrais dans un profond sommeil. »

Les transes peuvent durer jusqu'à une heure:

«C'est très rapide, une fois que l'oracle quitte mon corps, on me transporte dans une autre pièce, dans mon lit. Lorsque je reviens à moi, j'ai des douleurs dans la poitrine, mes battements de cœur sont accélérés et tous mes muscles me font mal. Je ne me souviens de rien.»

Il se défend fermement, par ailleurs, d'avoir des visions à titre personnel. « Une vision pure est une expérience profonde. On doit être très prudent lorsqu’ il faut juger si une vision est vraie ou fausse. Ce n’est qu’au travers de l'expérience et la sagesse parfaite d’un être réalisé qu’on peut définir une pure vision. Tout le reste n’est que fausse apparence ou illusion »

Quand il quitte son rôle d'oracle, Thubten Ngodup reprend ses activités quotidiennes, dont la gestion du monastère de Nechung, ou près d'une centaine de bonzes étudient sous sa responsabilité. Et lorsque son emploi du temps le permet, il se consacre à ses deux passions: l'art et le jardinage. « En devenant kuten, confie-t-il, ma vie a certes changé, mais pas moi. C est une très grande responsabilité mais je vis simplement, car je ne suis qu'un moine ordinaire dont le karma, l'effet de mes actes passés, est de servir autrui, en ayant ce rôle si particulier qui est d’être le support de l’un des dieux protecteurs de mon pays, le Tibet. »

Aurelie Godefroy

Article tiré du Monde des Religions – Juillet – Aout 2009 – n°36

 

Publié dans Histoire du bouddhisme

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