Femme et bouddhisme

Publié le par lobsang sonam

Voix Bouddhistes – France 2 - Emission du 31 décembre 2000

 

 

Introduction : Le bouddhisme prône depuis toujours l’égalité entre les sexes. C’est également une réalité que l’on retrouve dans les autres religions notamment lorsque l’on situe l’être humain au plan de la transcendance et de la mystique. Dans cette tradition, nous possédons donc tous hommes et femmes, les mêmes possibilités et les mêmes potentialités pour réaliser l’éveil, c’est-à-dire notre nature fondamentale, c’est ainsi que dans le bouddhisme tibétain nous trouvons de grands maîtres femmes. Nous parlerons donc de la femme dans le bouddhisme et dans la spiritualité en général avec nos deux invitées.

 

Invitées : Isé Masquelier – historienne des religions chargée de cours à Paris-Sorbonne et professeur à l’Institut Catholique de Paris. Elle a dirigé avec Frédéric Lenoir l’Encyclopédie des Religions parue en 1997.

 

Jean Paira-Pemberton – Maître de conférence à l’université de Strasbourg pendant une quarantaine d’années,  enseignante en anglais et linguistique, psychologue. Jean Paira suit les enseignements tibétains du centre Sakya de Strasbourg.

 

VB – Quelle a été votre rencontre avec le bouddhisme ?

 

Jean Paira-Pemberton – Cette rencontre provient d’un drame personnel mais qui est tout à fait banal dans la réalité. Il se trouve qu’à l’âge de 17 ans mon fils est mort en montagne et l’un de ses compagnons, celui qui a découvert le corps de mon fils, est lui-même décédé peu de temps après, en Himalaya .Quelque temps auparavant nous étions allés mon fils et moi-même, tous les deux, à une conférence que donnait le Dalaï-Lama lors d’une visite qu’il effectuait à Strasbourg. J’avais trouvé à ce moment,  dans le comportement de mon fils des points de ressemblance avec ce que représentait ce tibétain que je voyais pour la première fois. C’était peut-être dû justement aux exigences de la montagne…une forme de patience, de prise en compte de l’entourage, du courage, une sorte de passion et de regard autour de soi.


Cela m’avait très impressionnée et  m’a conduit au centre Sakya près de chez moi afin de voir d’un peu plus près ce à quoi cela tenait. Il y avait très certainement une démarche intérieure également. Je pensais souvent à la phrase de Pascal qui dit : Face à la mort, la réponse des hommes est le divertissement. Je cherchais effectivement un divertissement mais un divertissement sérieux.


J’ai découvert alors que l’on ne me posait pas de question, que l’on n’essayait pas de me consoler (d’ailleurs je ne le voulais pas) et qu’en même temps, on acceptait la chose. Ce que je cherchais, c’était une réponse, accepter l’inacceptable, et c’est autour de cette question que s’est organisée ma rencontre avec le bouddhisme.

 

VB – Comment pouvons-nous dire fondamentalement qu’il n’existe pas de différences entre un homme et une femme à partir du moment où l’on situe l’être au niveau de la transcendance et de la pratique et que l’on arrive à un certain cheminement religieux ou spirituel.

 

Isé Masquelier – Je crois qu’il n’y a pas de différence du point de vue de l’essentiel mais je pense que les psychologies sont différentes dans la manière dont les hommes d’une part et les femmes de l’autre abordent la spiritualité. Ces manières sont différentes. On voit dans la biographie des mystiques, des différences de sensibilité au niveau du vécu. Une première chose serait de dire que les hommes et les femmes sont égaux même s’ils sont différents en essence. Et les religions quand elles ont été liées à des cultures et parce qu’elles se sont développées dans des milieux où la femme a vécu « être » et a continué « d’être » infériorité, se mettent à insister plus aujourd’hui sur cette égalité de fond, de droit, d’essence. Néanmoins elles ont encore du chemin à parcourir.

 

En ce qui concerne les spiritualités, elles sont plus détachées du contexte culturel, ou alors elles l’ont volontiers critiquées. Il y a beaucoup de spirituels qui ont dit : mais enfin, les femmes tout comme les hommes ont accès à la spiritualité. C’est en fait dans ce domaine de la spiritualité que nous trouvons une véritable égalité.


Si on prend l’occident, il y a eu de très grandes mystiques qui ont été reconnues par leurs milieux et qui ont fait fonction de maître spirituel. Dès leur époque, elles ont été tout à fait admises comme étant des grandes mystiques. Thérèse d’Avila par exemple.

 

VB – Il est question d’une certaine ascèse. Quel est votre point de vue en tant que pratiquante bouddhiste ?

 

Jean Paira-Pemberton – Cela rejoint ma pratique de la psychologie. Je pense que dans la psychologie, on cherche à dire vrai, à se débarrasser d’autant d’illusions que possible. D’une certaine façon on peut dire ainsi que dans la vie, on va de deuil en deuil. On est obligé à chaque étape de la vie de renoncer à quelque chose de l’étape précédente pour pouvoir passer à autre chose. Je pense que dans les deux cas, le fait d’être une femme a peu d’importance. Le Dharma est pareil pour tout le monde.

 

VB – Ceci dit, le cheminement  peut être particulier pour une femme à travers l’amour, la compassion.

Isé Masquelier – Quand on regarde les biographies au niveau du vécu, notamment de ceux et de celles qui ont témoigné de leur expérience spirituelle, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de différences fondamentales. Les différences se trouvent plus dans la symbolique. Les qualités féminines sur le plan spirituel, c’est l’ ouverture, c’est la facilité, c’est le lâcher-prise, à laisser se faire les choses qui doivent être et ne pas intervenir par l’activisme qui serait plutôt du masculin occidental. Ne pas laisser l’activisme interrompre le cours des choses.

 

VB – A propos de la compassion, le Bouddha dit souvent que la mère pour son petit enfant a un sentiment naturel de compassion. Il est plus facile pour elle de le développer et de comprendre ce que ce sentiment signifie.

 

Jean Paria-Pemberton – Ce que l’on peut dire, c’est qu’une mère qui a de jeunes enfants se trouve devant des exigences, des demandes incontournables. Il faut s’occuper de ce « petit autre » qu’est le bébé, puis l’enfant, et effectivement cela peut se généraliser en un sentiment de compassion, mais l’inverse peut également se produire car devant ces exigences incontournables, bien des femmes peuvent se braquer et l’inverse donc se produit.  Toute mère n’est pas par nature la mère suffisamment bonne. Je crois.

 

Isé Masquelier – Les conditions mêmes de l’existence humaine, les conditions biologiques  et aussi les rôles sociaux peuvent être des préparations, des propédeutiques, des approches de vertus  qui seront arbitres sur le plan spirituel. Je rejoins ce que disait Jean Paira, ce n’est pas parce qu’une mère éprouve quelque chose de la maternité qu’elle va naturellement développer une spiritualité avec une dimension de compassion, d’amour, de service désintéressé pour la vie d’un autre.

 

VB – Traditionnellement, les rôles dévolus à l’homme et à la femme se trouvaient transposés aussi sur le plan religieux et spirituel, sous l’aspect de vertus qui étaient plus féminines ou plus masculines.

 

Isé Masquelier – Le bouleversement actuel dont on pourrait donner mille exemples des rôles qui étaient distribués d’une certaine manière entre l’homme et la femme et qui le sont maintenant d’une manière totalement différente, va influer aussi sur la spiritualité peut-être dans un sens très  positif. Avec d’une part les rôles sociaux, socio-économiques, socio-politiques, mais que d’autre part, il y a une dimension universelle de spiritualité dans laquelle on s’apercevra que les hommes et femmes sont égaux même s’ils sont différents. On s’en apercevra vraiment. Actuellement, ce n’est pas encore une réalité ancrée dans toutes les cultures religieuses.

 

Jean Paira-Pemberton – En conclusion je dirais  que ce que le bouddhisme peut apporter aux femmes dans leur vie morcelée par diverses fonctions, le travail, les enfants, et c’est souvent le cas,  c’est une façon de convertir ce morcellement de vie vers quelque chose de plus construit, qui est de l’ordre de la pratique.

 

 

 

Publié dans Philosophie Tibétaine

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